2/3 L’un a fait la France ; l’autre a largement contribué à la défaire… […] La question: «Que ferait de Gaulle?» n’est pas si sotte ni si vaine que cela car il a laissé une doctrine simple: celle du souverainisme selon laquelle le peuple est l’horizon indépassable de toute vérité politique, ce qui ne va pas sans l’indépendance de la France, une puissance et une force, une potentialité et une énergie à maintenir coûte que coûte. Le chef de l’État ne se sert pas de l’État mais il le sert, car il est lui-même un instrument au service de la volonté populaire. Le fin mot de la République est donc la consultation électorale qui permet de savoir ce que veut le peuple. Dans cette configuration, l’objectif du chef de l’État n’est pas de tout faire pour être élu ou réélu, mais de proposer un contrat social auquel seul le peuple peut consentir et qu’il est le seul à pouvoir rompre: l’élection permet en effet le mouvement politique par excellence, la dynamique démocratique - élection ...
Arnaud Laporte, producteur de La Dispute, revient sur l’histoire de cette pièce hors-norme, et analyse le très grand succès de cette production de la Comédie Française, avant sa diffusion dimanche 3 mai à 20h50 sur France 5.
Un monument national
Nous sommes le 27 décembre 1897, soir de la Première de Cyrano de Bergerac au Théâtre de la Porte Saint-Martin. Le jeune dramaturge Edmond Rostand, âgé de 29 ans, s’excuse avant le lever de rideau auprès de son acteur, Coquelin, de l’avoir "entraîné dans cette désastreuse aventure". On connaît la suite : quarante rappels, et Rostand fait chevalier de la Légion d’Honneur deux jours plus tard par le Président du Conseil !
Sans doute faut-il faire un peu d’histoire pour comprendre le destin de cette pièce, et rappeler tout d’abord que Rostand était un dreyfusard convaincu. L’écriture de Cyrano se situe sous l’influence de l’air de son temps, un air épais, étouffant, qui ne cessait de ressasser la défaite française en 1870 contre les Prussiens, une France qui y avait laissé son honneur et sa gloire. La geste glorieuse autant que modeste du héros au long nez apporte aux spectateurs une bouffée d’air de revanche, et redonne aux français un sentiment de fierté qui leur faisait alors cruellement défaut.
Sans doute cette dimension de chef d’oeuvre national a-t-elle par la suite nuit à la réception de la pièce par les générations suivantes. Plus le temps de la création s’éloignait, plus la pièce était considérée comme un peu ringarde ou, comme a pu le dire Denis Podalydès, d’un "académisme vieillot".
Le cinéma au secours du théâtre
Tout change en 1990, avec la sortie en salles du film de Jean-Paul Rappeneau d’après la pièce de Rostand, qui raflera 10 Césars, un Oscar, un Golden Globe, 4 Bafta, et qui vaut à Gérard Depardieu le Prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes et le César du meilleur acteur ! Dès lors, les regards sur Cyrano changent, et la pièce retrouve l’affiche des plus grands théâtres.
Si la Comédie Française a attendu plus de quarante ans pour faire entrer la pièce de Rostand à son répertoire, elle fait désormais partie de la grande histoire de cette maison. Il faut dire que cette première production, en 1938, dans une mise en scène de Pierre Dux, fut jouée 416 fois jusqu’en 1953. La reprise, en 1964, se fit dans une mise en scène de Jacques Charron. Dernière mise en scène, hors du Français, au Palais des Congrès, en 1976, signée Jean-Paul Roussillon, adaptant la mise en scène de Charron, mort l’année précédente.
Créée le 27 mai 2006 Salle Richelieu, cette mise en scène est la première que Denis Podalydès signe à la Comédie Française. Il demande à Eric Ruf d’en signer la scénographie, et à Christian Lacroix les costumes, tandis que Stéphanie Michel en dessine les lumières, et Emmanuel Bourdieu la dramaturgie.
Rappelons aussi l’argument de la pièce : Cyrano de Bergerac est un homme d’une grande laideur, du fait de son grand nez, mais il sait mieux que quiconque manier l’épée et les mots. Secrètement amoureux de Roxane, celle-ci lui révèle son amour pour Christian, un jeune noble qui, d’une extrême timidité, demande à Cyrano de l’aider à conquérir la jeune femme en lui soufflant des vers amoureux. Le subterfuge opère à plein, mais Christian meurt lors du siège d’Arras, et demande dans un dernier souffle à Cyrano de tout dévoiler à Roxane. Cyrano refusera jusqu’à sa mort de révéler la vérité.
Une troupe en feu
La captation de 2017 saisit Michel Vuillermoz en Cyrano, rôle qu’il tient alors depuis plus de 10 ans, de reprise en reprise. Il en va de même pour Françoise Gillard en Roxane. Loïc Corbery s’est glissé dans le costume de Christian, au départ interprété par Eric Ruf. Cette pièce aux multiples rôles nous offre un plateau étincelant, de Véronique Vella à Didier Sandre, de Cécile Brune à Christian Hecq, en passant par Adeline d’Hermy ou Gilles David, et quantité d’autres, donnant au nom de troupe la plus belle des définitions durant ces 3 heures de spectacle.
Pour sa première mise en scène dans les ors de la Salle Richelieu, Denis Podalydès fait feu de tout bois, et en met plein la vue aux spectateurs. Décors, costumes et lumières participent pleinement au très grand succès public que rencontre cette production, jouée 250 fois depuis sa création. Le plaisir est intense à voir vivre sous nos yeux tout ce petit peuple que nous connaissons si bien, et c’est une émotion sans pareille que de sentir une salle entière frissonner à l’unisson alors que Michel Vuillermoz entame la tirade du nez. Mais si le metteur en scène ne se laisse pas impressionner par ce monument, c’est qu’il sait parfaitement jouer des différentes émotions contenues dans le texte. Ainsi, se souvenant peut-être que le Général de Gaulle se faisait interpréter chaque année cet Acte IV décrivant le siège d’Arras par les comédiens du Français, Denis Podalydès choisit de montrer celui-ci comme une prémonition de la bataille de Verdun. Dans un toute autre registre, il y a ce moment littéralement suspendu, cette scène du balcon qui est aussi un moment-clé du récit. Alors que Cyrano souffle à Christian les mots d’amour qu’il répète ensuite à Roxane, tout un pan de décor glisse en coulisses, nous permettant de découvrir la jeune femme flotter dans les airs, prouvant par cette image saisissante et pleine de grâce que l’amour donne des ailes.
Ainsi, si ce spectacle est un émerveillement de tous les instants, c’est parce que le metteur en scène, en digne héritier de la pensée de Rostand, fait de son Cyrano un hommage vibrant à la magie du théâtre, dans tous ses artifices, et voit en son personnage principal un acteur autant qu’un metteur en scène de sa propre vie, et de celle des autres.
Alors qu’elle aurait dû être reprise durant un mois cet été, la pièce arrive à point nommé sur le petit écran. Une consolation en ces temps si incertains pour l’avenir même du théâtre.
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