Quand Verlaine chantait les gens du Nord
Au soir de sa vie, le poète rendit hommage à sa terre de prédilection au café Le Procope.
Les Ardennes belges ou françaises et Rethel, l’Artois où il a passé une partie de son enfance, Douai, Bruxelles, Charleroi, Gand, Malines vers Anvers, et Mons, où il restera plus d’un an sous les verrous. Ajoutons, en remontant: La Haye, Leyde et Amsterdam… Verlaine, le moins méridional de nos poètes (il parlait de «Midi cuit»), a toujours été aimanté par le Nord, au sens large. Ce fils de Saturne et de Septentrion, rejeton d’une mère originaire du Pas-de-Calais, n’a pas manqué de chanter les briques aux ocres douteuses, les tuiles couleur de pluie, les plates et monotones contrées, les brumes des plaines et de l’absinthe, le «vent [qui] cherche noise» et les «gais chemins grands». On se souvient toujours des brefs couplets entêtants de Walcourt, poème tiré des Paysages belges, et composé un jour de l’été 1872, un an avant qu’il ne tire sur Rimbaud avec son Lefaucheux calibre 7 mm, dans une chambre borgne de la bruxelloise rue des Brasseurs: «Briques et tuiles, / Ô les charmants / Petits asiles / Pour les amants!»
Les régions qui ont leur couleur à elles, leurs parfums spéciaux, leur goût de terroir, leur âme individuelleAu soir de sa vie, c’est-à-dire à cinquante ans, le «Pauvre Lélian», entre les nombreuses étapes de sa tournée nosocomiale (Cochin, Bichat, Broussais, Tenon, Saint-Antoine…), avait donné une conférence au café Le Procope, à Paris - où il avait l’habitude de pousser son bock - sur «Les Poètes du Nord». Il était donc en terrain connu, et conquis, à double titre. Longtemps considéré comme perdu, le texte original de cette brève intervention a récemment été retrouvé, avec en bonus un poème oublié et deux lettres inédites. C’est cet ensemble qui nous est donné de découvrir avec, en annexe, le récit d’un témoin de cette soirée du 29 mars 1894, ainsi que les poèmes et chansons qui ont illustré l’intervention de l’auteur deLa Bonne Chanson.
Chansons en patois
Une soirée organisée par l’association des Rosati, acquise à la cause du poète et de son «régionalisme», sensibles qu’ils étaient à la réappropriation des parlers provinciaux du Nord et au réveil du folklore local. La plupart des invités, serrés au premier étage de l’établissement, sont aujourd’hui tombés dans les oubliettes de l’histoire, à l’exception notable de Catulle Mendès et d’Ernest Delahaye, l’ami d’enfance de Rimbaud (mort trois ans auparavant).
Verlaine fit donc l’éloge de sa terre d’élection, blâmant les préjugés jacobins, chantant au passage, sur le modèle des Occitans et de leurs félibres, «les régions qui ont leur couleur à elles, leurs parfums spéciaux, leur goût de terroir, leur âme individuelle», sous le signe du dicton chtimi: «Chacun sin pain et sin hareing». Donc, à chacun son pain et son hareng…
Le poète avait mis à l’honneur deux écrivains du Nord, en livrant au public plusieurs de leurs vers: Marceline Desbordes-Valmore, qu’on ne lit plus guère, et le fade Sainte-Beuve, élu à l’Académie française l’année où Verlaine vit le jour, en 1844. Le tout agrémenté d’airs en patois, chantés et repris en chœur par des voix bien écorchées, éraillées, par l’alcool et le tabac. Dont le fameux refrain lillois «Dors min p’tit quinquin, / Min p’tit pouchin…»
Quant au poème, pour inédit qu’il soit, et sous-titré Toast de loin, hymne aux «trinquements» de verres, et à Arras ou à Saint-Quentin, il est bien loin de la chatoyance mélodieuse et des camaïeux délavés des Poèmes saturniens ou des Romances sans paroles. Et de ce bleu qui désormais manquait à son décor.
Verlaine passera la plume à gauche moins de deux ans plus tard, rue Descartes, entre la Contrescarpe et Saint-Étienne-du-Mont, où repose Racine, rappelons-le, Picard de naissance.
«Les poètes du nord» de Paul Verlaine, Gallimard, 93 p., 12 € Par Thierry Clermont
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