On n’est pas sérieux quand on est ministre de la Culture. Roselyne Bachelot, titulaire du poste, ainsi que ses prédécesseurs soutiennent, apprend-on, une pétition en faveur du transfert des cendres d’Arthur Rimbaud et de Paul Verlaine au Panthéon. C’est une manie des institutions contemporaines de vouloir ensevelir les artistes sous les honneurs. Le Panthéon? Pourquoi pas un appartement de la Ville de Paris? Le statut d’intermittent du spectacle? Toute la vie des deux poètes, toute leur œuvre de feu tournent le dos à la société. Ils furent épris de liberté, jusqu’à faire de la transgression un art de vivre. Rancunière, la société, avec la complicité de l’université et des ministres, se venge aujourd’hui de leurs invectives et de leurs langues tirées. Elle tente de les récupérer.
Le Panthéon, quoi qu’on pense de son architecture, est une dernière demeure fort estimable. Y reposent des hommes et des femmes ayant œuvré pour le bien du genre humain. Par cette sépulture, la patrie selon ses termes leur exprime sa reconnaissance. On y trouve des médecins, des philosophes, des militaires, des politiques. Récemment des résistants, hommes et femmes, parmi les plus notoires. Et les pétitionnaires de s’étonner qu’on n’y compte pas de poète ; mais ce n’est pas la vocation d’un poète d’œuvrer au bien du genre humain. Généralement cette engeance n’en a cure. Imagine-t-on Villon, Louise Labbé, Apollinaire militer pour le vivre-ensemble? La transition écologique? Sans souci de la morale publique, Rimbaud et Verlaine célèbrent joliment «un trou de verdure où chante une rivière» ou «les sanglots longs des violons de l’automne». Mais l’un ricane sur M. Prudhomme - «il est grave, il est maire et père de famille» (Verlaine) - quand l’autre pointe «la sagesse bâtarde du Coran» (Rimbaud). «Ciel! sommes-nous assez de damnés ici bas?»: ces deux-là ne respectaient rien. Poètes, vos papiers. Un désir éperdu d’indépendanceQue pensaient-ils du Panthéon? Dans ses Illuminations, Rimbaud murmure: «L’acropole officielle outre les conceptions de la barbarie moderne les plus colossales.» Y sommes-nous? Qui sait? Ce qui est sûr c’est que leurs territoires, ce n’était pas les palais ni les temples de la République. C’étaient des tavernes enfumées à s’intoxiquer de tabac et d’absinthe, les bouges de Londres à s’insulter et à se violenter, les chemins d’Abyssinie à faire commerce d’armes à feu de contrebande.
Apprenons, déclamons leurs vers à l’envi sur les scènes de théâtre et dans les salles de classe, mais n’infligeons pas au pauvre Lelian et à son complice effronté un camouflet posthume, n’insultons pas leur désir éperdu d’indépendance. Plutôt que de les enfermer au musée des grands hommes, laissons-les libres de chausser leurs semelles de vent, pour l’éternité.
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