Pierre Dac au musée: vous voulez rire?
Le musée d’art et d’histoire du judaïsme consacre sa première exposition à l’inventeur du «Schmilblick». Et relate l’incroyable parcours d’un résistant à toute épreuve.
Pierre Dac devant son micro, photographié en 1935 par Brassaï.
Photo ©RMN-Grand Palais / Jean-Gilles Berizzi
À part ceux qui l’ignorent parce qu’ils n’en savent rien, et réciproquement, nul n’est censé méconnaître le fait suivant: Pierre Dac fut l’homme le plus drôle de France et par conséquent du monde. Un trublion de génie, inventeur du Schmilblick et promoteur du Biglotron, un extraordinaire appareil de synthèse n’ayant pas à ce jour trouvé la moindre utilité pratique. Après Freud, Gotlib et Goscinny, le Musée d’art et d’histoire du judaïsme à Paris consacre ces jours-ci une grande exposition au «maître soixante-trois» de l’humour et de la loufoquerie. Une première pour Pierre Dac, né André Isaac, fils et petit-fils de Juifs alsaciens qui regrettait que sa ville natale, Châlons-en-Champagne, n’ait pas été rebaptisée en conséquence Shalom-en-Champagne…
Il n’était pas versé dans les colichemardes dans le souvenir et a beaucoup jeté de son vivant.
Jacques Pessis, son légataire universel et neveu adoptif, a remué les archives et déballé de quoi remplir douze salles thématiques. Des photos, des lettres, ses sketchs parmi les plus célèbres et d’autres, tout à fait méconnus. «Le passé ne l’intéressait pas beaucoup, témoigne Jacques Pessis.»
La postérité n’était certes pas la première des préoccupations de Pierre Dac. «Il vaut parfois mieux passer hériter à la poste que passer à la postérité», écrivait-il dans son recueil de Pensées, récemment revues et enrichies par les Éditions du Cherche-Midi. Dac aurait pourtant eu de quoi y prétendre. Outre de brillants états de service - mobilisé en 1914, blessé en 1915, brûlé en 1917, décoré de la croix de guerre en 1918 -, il embrasse successivement les carrières de garçon de course, chauffeur de taxi, homme-sandwich et «vendeur de savonnettes à la sauvette», écrit Jacques Pessis. Mais c’est dans la profession d’amuseur qu’il finit par faire son trou sur scène, au milieu des années 1920, puis à la radio dans la décennie suivante. «Dac a ouvert la voie à une forme d’humour alors inconnue en France, l’équivalent de ce que les anglophones appellent le nonsense», explique Pessis. La notoriété de l’humoriste passe de quelques centaines de fauteuils des théâtres parisiens à des millions d’oreilles postées devant la TSF. Le phénomène est tel que, en 1957, Guy Mollet, président du Conseil, interrompt un débat à l’Assemblée en déclarant aux journalistes: «Messieurs, je dois vous quitter, c’est l’heure de Signé Furax» !
La Passe d’armes avec Philippe Henriot *
L’Os à moelle restera probablement son grand œuvre. L’hebdomadaire fut lancé en mai 1938. Les Allemands - qui manquaient significativement d’humour en ce temps-là - mettent deux ans plus tard un terme à sa parution. Dac n’y tient plus. Après deux tentatives d’évasion et douze mois de détention, il parvient à gagner l’Angleterre et devient l’un de ces «Français qui parlent aux Français» sur les ondes de la BBC.
Les Éditions Libretto ont eu l’heureuse idée de rééditer ses souvenirs de l’époque. On y trouve notamment le récit de sa passe d’armes avec Philippe Henriot, (j'ai publié il y a environ deux ans le verbatim de cet échange) ,collaborateur zélé qui fustigeait régulièrement au micro de Radio Paris «l’esprit desséchant et ricaneur du juif Dac. (…) Où nous atteignons les cimes du comique, c’est quand notre Dac prend la défense de la France. (…) Qu’est-ce qu’Isaac, fils de Salomon, peut bien connaître de la France? La France, qu’est-ce que ça peut bien signifier pour lui?».
L’intéressé lui répond le lendemain par ondes interposées: «Eh bien! Monsieur Henriot, sans vouloir engager de vaine polémique, je vais vous le dire, ce que cela signifie, pour moi, la France. (…) Si, d’aventure, vos pas vous conduisent du côté du cimetière Montparnasse, entrez par la porte de la rue Froidevaux ; tournez à gauche dans l’allée et, à la 6e rangée, arrêtez-vous devant la 8e ou la 10e tombe. C’est là que reposent les restes de ce qui fut un beau, brave et joyeux garçon, fauché par les obus allemands, le 8 octobre 1915, aux attaques de Champagne. C’était mon frère. Sur la simple pierre, sous ses nom, prénoms et le numéro de son régiment, on lit cette simple inscription: “Mort pour la France, à l’âge de 28 ans.” Voilà, Monsieur Henriot, ce que cela signifie pour moi, la France.» Sur quoi Pierre Dac suggère aimablement une épitaphe à son interlocuteur: «Henriot, mort pour Hitler, fusillé par les Français»…
Moins de deux mois plus tard, Philippe Henriot est descendu par une escouade de partisans. À propos de ces «héros» de la dernière heure, Dac fera cette observation moins innocente qu’il n’y paraît: «Les résistants de 1945 sont, parmi les plus glorieux et les plus valeureux combattants de la Résistance, ceux qui méritent le plus d’estime et le plus de respect parce que, pendant plus de quatre ans, ils ont courageusement et héroïquement résisté à leur ardent et fervent désir de faire de la Résistance.»
Que reste-t-il de Pierre Dac aujourd’hui? «Bien plus qu’on ne le croit , répond Jacques Pessis. Des quantités d’humoristes marchent aujourd’hui dans ses pas, sans toujours en avoir conscience.» Dac leur a en quelque sorte ouvert la voie. Seize ans avant Coluche, il se présentait aux élections présidentielles, sous l’étiquette du MOU, le Mouvement ondulatoire unifié. «Les temps sont durs, vive le MOU!», clamait-il à la tribune. Reviens, Pierre Dac, les temps durs sont devenus fous.
Jusqu’au 28 février au Musée d’art et d’histoire du judaïsme, Paris (3e). Tél. : 01.53.01.86.50. Catalogue sous la direction d’Anne-Hélène Hoog et Jacques Pessis, Mahj/Gallimard, 192 p., 29 €. À lire aussi : Pensées éternelles, Le Cherche Midi, 224 p., 15 € et Un Français libre à Londres en guerre, 256 p., 10 € (en librairie le 22 octobre).
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